Voici le récit d’une expérience menée en interdisciplinarité au collège Jean Jaurès de Vieux-Condé (59) entre :
Il y a deux ans, nous avons sollicité une AOG concernant les narrations de recherche.
Nous en avions entendu parler par divers formateurs et collègues et nous avions envie de tenter l’expérience.
Notre demande étant acceptée, nous avons obtenu une heure par semaine pour réaliser ce projet.
Il ne restait plus qu’à s’y mettre ...
Dans notre réflexion préalable, nous avons eu du mal à concevoir le déroulement des séances.
Mais en septembre 2005, des élèves d’une classe de 5ème ont vu apparaître une étrange case dans leur emploi du temps : "narrations de recherche" puis ont eu la surprise de voir arriver devant eux leur professeur de mathématiques et leur professeur de français.
Après quelques tâtonnements, voici la manière de procéder que nous avons mise en place.
L’expérience relatée ici peut être un support de réflexion pour les enseignants souhaitant travailler en pluridisciplinarité ou dans le cadre de l’enseignement des mathématiques.
La première partie du travail consiste évidemment à touver un sujet qui soit assez dense pour que les élèves aient matière à réfléchir.
C’est souvent là le travail du professeur de mathématiques.
Certains collègues utilisent la narration de recherche pour introduire de nouvelles notions ; ainsi le sujet "des poules et des lapins" (grand "classique" visible dans la la bibliographie) peut être un support à l’introduction de la résolution de système d’équation.
Pour notre part nous avons décidé d’étudier des sujets déconnectés de la progression mathématique de la classe de cinquième.
Ce moment de narration devant permettre à chacun de développer ses idées, indépendamment de ses difficultés en cours de maths.
Le prof de maths fouille parmi ses sources pour trouver un sujet : principalement des problèmes déjà posés (issus des livres cités en la bibliographie), adaptés de questions du concours Kangourou ou des problèmes de MATHenJEAN’s.
Le professeur de français n’a durant cette partie qu’un rôle mineur, lisant parfois le sujet, essayant très souvent de résoudre le problème, simplement pour pouvoir répondre aux futures questions d’élèves.
Le professeur de maths ne lui donne aucune information, aucun élément de solution, afin que son collègue conserve une certaine "fraîcheur" face aux élèves.
Cette relecture est souvent riche d’enseignement afin que le sujet ne soit pas trop hermétique, trop "formaté" par l ’esprit matheux, et donc finalement accessible au plus grand nombre.
Nous avons assez rapidement décidé d’une présentation "standardisée" des sujets, petit rituel qui permet aux élèves de se replonger rapidement dans des consignes connues.
Cette présentation permet aussi de préciser les critères d’évaluation, les attendus lors de la narration.
Le sujet est lu (simplement oralisé, sans aucune information supplémentaire) avec les élèves par un enseignant.
Ensuite le rôle de chaque prof est d’accompagner la réflexion.
Durant l’heure, il circule auprès des élèves, ne donnant aucune réponse mais permet parfois d’éclaircir un point.
Il peut aussi débloquer un élève en situation provisoire d’échec : parfois il s’agit d’une simple erreur de calcul, parfois d’une explicitation du sujet quand l’élève ne comprend manifestement rien.
D’autres fois, il faut interrompre un raisonnement dans lequel l’élève s’était perdu, n’arrivait pas à voir clair et avait déjà perdu beaucoup de temps.
Il suffit alors de pousser le raisonnement avec lui afin d’arriver rapidement à une contradiction, une incohérence...
Il aura un rôle quasiment identique à celui du professeur de mathématiques, apportant simplement un regard plus "naïf" mettant ainsi les élèves face à une obligation de clarté.
Cette "fausse" naïveté adoptée par les enseignants est un élément essentiel à l’accouchement et l’aboutissement des réflexions des élèves.
Nous avons trop souvent tendance à terminer les raisonnements, à deviner ce que l’élève n’a pas eu le temps d’exprimer et donc de concevoir.
Un autre rôle capital des deux enseignants est de faire écrire, de rappeler constamment aux élèves qu’ils doivent tout noter, tout développer, tout expliciter.
Si, au début, les élèves ont davantage tendance à appeler le professeur de mathématiques, ils estompent assez rapidement cette envie appelant indifféremment un professeur ou l’autre sauf en cas de problème spécifique (difficulté de calcul pour l’un, interrogation orthographique pour l’autre).
Ils peuvent travailler seuls ou en groupe.
En fait, lors des premières heures de narration, chacun travaille seul (même si quelques idées parfois "circulent") puis, selon les sujets, l’ambiance de la classe, les élèves peuvent choisir de travailler à plusieurs s’ils le désirent (groupes allant de 2 à 4 élèves).
Leur obligation est d’écrire toutes leurs idées.
Pas de brouillon: tout doit apparaître sur la copie : erreurs, ratures, changement d’idées, clarifications...
Ils travaillent entre 2 et 4 heures sur un sujet.
La notion de temps est ici importante puisque, pour une fois, il ne faut pas prouver qu’on est le meilleur, le plus rapide, le plus performant.
Les élèves en échec scolaire trouvent alors, durant ces heures, une position peut-être un peu plus confortable que dans la majeure partie de leurs cours.
Cette notion de temps est essentielle aussi car souvent absente de notre enseignement (où on "court" après le programme).
Et c’est donc une chance pour nos élèves que cette heure de narration puisse avoir lieu dans ces conditions.
Lorsque les élèves travaillent en groupe, chacun rend sa copie sur laquelle se trouvent ses idées mais aussi celles de ses camarades.
Ils justifient alors l’emploi d’une idée par rapport à une autre et développent ainsi l’explicitation de leur raisonnement.
Le travail de groupe est parfois ponctué de moments d’oral où chaque groupe expose en quelques minutes l’avancée de ses travaux et les chemins explorés.
Il n’y a pas, en narration de recherche, de présentation obligatoire, de forme imposée.
Leur seul impératif est de rendre une copie lisible.
Les calculs, les dessins sont bienvenus, souhaités, en tant qu’élément d’explication du raisonnement.
Mais ils doivent être eux aussi explicités : nous n’acceptons pas un dessin ou une opération isolé.
Les phrases sont obligatoires car elles sont le moteur de la réflexion.
A chaque fin d’heure, le sujet et la copie de chacun sont ramassés.
Le but principal est que les élèves aient leur copie la semaine suivante.
Chaque copie est corrigée par les deux enseignants : deux couleurs différentes, deux regards complémentaires, des remarques qui reprennent les exigences de chacune des deux matières.
C’est un moment souvent long puisque les copies sont denses, riches, parfois difficiles à suivre ; même au bout de 6 mois de narration, il n’est pas toujours aisé pour un élève de mettre clairement par écrit le détail de sa pensée.
C’est d’ailleurs là l’un des principaux enjeux du projet !
Nous avons toujours voulu noter, parce qu’il s’agit pour nous d’un réel travail, d’un investissement pour les élèves.
Ainsi chaque copie subit une double évaluation : sur une feuille volante, le premier professeur propose sa notation, qui sera modulée si nécessaire par le second puis recopiée sur la feuille de l’élève.
Les critères de notation (voir plus bas) sont clairement énoncés aux élèves dès le début de la narration.
Ces critères ne changent pas mais leur importance varie en fonction de l’avancée du travail.
Pour l’enseignant de mathématiques, cette manière de noter (qui ressemble aux barèmes de rédaction) est déconcertante.
Nous avons l’habitude de détailler au demi-point chaque ligne de calcul...
Lors de la reprise de chaque sujet, les professeurs proposent chacun leur correction.
Le professeur de maths reprend les différentes pistes de réflexion élaborées par les élèves, souvent sous la forme d’un diaporama (à partir de copies d’élèves scannées).
Ce diaporama s’accompagne d’une fiche où les élèves développent les différentes idées trouvées au sein de la classe, ce qui permet de casser un exposé un peu magistral (qui dure souvent plus d’une heure).
Le professeur de français reprend selon les besoins un problème orthographique spécifique, un problème de structure (par exemple, il réexplique comment faire une introduction et quel est son rôle).
Il travaille la reformulation, il aide à créer des réflexes de clarification (parfois, il s’agit simplement de rappeler que la ponctuation est totalement nécessaire).
Ceci est souvent fait à partir d’extraits de copies d’élèves tapées sur traitement de texte et, toilettées ou non selon les objectifs.
Les élèves reçoivent leur copie, lisent les annotations, posent des questions...
Cette phase importante est, selon nous, insuffisamment investie par les élèves qui s’empressent de mettre leur copie dans le classeur.
Il nous faut donc réfléchir sur sa mise en place en classe.
Et l’heure suivante, le cycle recommence !
Reprend les exigences du professeur de français (ponctuation et pluriels en début d’année, introduction, reprises pronominales... plus tard dans l’année...).
Dans le barème, ce critère varie entre 2 et 4 points en fonction des attendus (rappelés aux élèves à chaque séance).
Reprend les attentes du professeur de mathématiques pour le vocabulaire employé (droites, poser une addition ou "une plus"...).
En fonction des sujets, ce critère est évalué entre 1 et 3 points.
Le critère principal, l’objet de tout le projet.
Comprend-on le raisonnement de l’élève en le lisant ?
Ce critère est noté sur 4 points.
Ici est évalué l’investissement de chacun.
Une partie de cette note correspond à ce que nous remarquons lors des séances.
Cette note correspond à une évaluation des efforts et peut atteindre 4 points.
Puisque l’élève doit raconter ce qui se passe, nous évaluons la sincérité de son récit.
L’intervention des enseignants pour débloquer une situation, le rôle de chacun lorsque le travail se fait en groupe sont des éléments essentiels pour obtenir le maximum de points dédiés à ce critère (3 ou 4...).
Puisque le travail se fait sur plusieurs semaines, puisque les élèves vont développer différentes idées, la chronologie employée ainsi que la structure du récit sont capitales.
Les élèves utilisent différentes méthodes : changement de couleur, passage de ligne, numérotation....pour obtenir les 3 ou 4 points de ce critère.
Ce critère a finalement une importance toute relative.
Les élèves sont souvent convaincus d’avoir trouvé ; dans d’autres cas, ils ne voient pas qu’ils ont obtenu la bonne réponse.
Mais ici, les chemins parcourus sont plus importants que le lieu d’arrivée.
Seuls deux points sont affectés à ce critère.
Si les élèves critiquent ou commentent avec discernement une réponse ("ce nombre est trop grand donc ce n’est pas la bonne réponse..."), nous leur donnons une partie des points affectés ici.
Dernière précision concernant la notation, notre heure de narration intervient dans la moyenne trimestrielle de l’élève sous la forme d’une note dans le bulletin qui ponctue le travail, l’investissement de chacun et qui n’est pas forcément en corrélation avec les notes obtenues aux 2 ou 3 devoirs faits durant le trimestre.
Par exemple, un élève qui aurait obtenu 8, 11 et 13 peut avoir une moyenne supérieure à 12 reflétant son investissement et ses progrès constants.
« Evidemment, en dehors de cette heure spécifique, je me devais de pratiquer la narration de recherche dans mes autres classes.
Je l’ai mise en place sous forme de devoir maison.
Mais les élèves ont beaucoup de mal à ne pas bâcler le travail.
Dès qu’ils ont trouvé une idée, ils sont convaincus d’avoir la solution !
Et rendent des narrations de recherche faite en 20 minutes (coup de fil aux copains inclus).
Une idée trouvée par un élève de tête de classe se retrouve rapidement dans 5 ou 10 copies sans aucune explication, ni justification.
Mais lors de la troisième narration donnée à la maison, le déclic intervient chez les élèves qui comprennent le fonctionnement de ces narrations.
J’ai pour ma part appliqué les principes développés ici lors de la correction (barème, correction sous forme de diaporama...). »